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Étape historique pour le devoir de vigilance des entreprises : un accord trouvé au niveau européen

le 2 janvier 2024 par Fédération Artisans du Monde

Au matin du 14 décembre 2023, après une dernière session de négociation de 18 heures, un accord a été trouvé entre le Parlement européen, le Conseil de l’UE et la Commission européenne pour rendre obligatoire le devoir de vigilance des entreprises en matière de droits humains et de l’environnement. Le texte de la nouvelle directive européenne n’est pas encore finalisé, mais les négociations politiques ont pris fin avec succès.  

C’est un moment historique, longtemps attendu, et le résultat d’une inépuisable bataille juridique contre l’impunité des entreprises. Dix ans après la tragédie du Rana Plaza, où des milliers de travailleuses du textile avaient trouvé la mort au Bangladesh, les entreprises de l’Union Européenne seront désormais tenues responsables de leurs impacts sur les droits humains et sur l’environnement. 

 

C’est une victoire à célébrer, car une étape décisive dans l’évolution de la loi, mais ce n’est qu’un point de départ. L’ambition de l’accord s’est vu fortement réduite par le lobby des multinationales : le chemin vers un commerce respectueux des droits humains reste encore long. 

 

Les entreprises visées et leurs obligations

Alors que la France était pionnière avec l’adoption d’une loi sur le devoir de vigilance des entreprises en 2017, notre gouvernement a honteusement plaidé pour l’exclusion du secteur financier de la directive. Les banques et autres acteurs financiers ont donc été exonérés de l’obligation du devoir de vigilance, alors même qu’ils soutiennent massivement des projets d’extraction fossile. 

 

Le devoir de vigilance des entreprises européennes concernera uniquement les très grandes entreprises : celles de plus de 500 salariés et ayant un chiffre d’affaires mondial supérieur à 150 millions d’euros. Le seuil est abaissé à 250 salariés et 40 millions d’euros de chiffre d’affaires dans les secteurs à hauts risques (textile, agriculture, minerais, construction). 

 

Ces entreprises auront l’obligation d’identifier, de prévenir et de remédier aux impacts négatifs qu’elles pourront avoir sur les droits humains et l’environnement du fait de leurs activités, sur toute leur chaîne d’approvisionnement, y compris chez leurs filiales et à travers leurs relations commerciales. Chaque pays de l’UE devra désigner une autorité de contrôle pour vérifier si les entreprises respectent ces obligations. En cas de manquement, ces autorités pourront imposer des sanctions et des amendes allant jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires net mondial. 

 

L’accès à la justice pour les victimes

Dans le cas de violations des droits humains, les victimes pourront engager la responsabilité des entreprises devant les tribunaux de l'UE. Mais là encore, le résultat des négociations est mitigé : la charge de la preuve reposera sur les victimes, et non sur les entreprises. Les juges pourront néanmoins exiger la divulgation des documents internes de l’entreprise, qui peuvent être des éléments de preuve cruciaux pour les victimes. 

 

De quels droits humains s’agit-il ?

Selon les standards de l’ONU, c’est bien évidemment TOUS les droits humains qui doivent être respectés par les entreprises, car ils sont indivisibles et interdépendants. Mais les institutions européennes ont entrepris de lister en annexe les « principaux » droits humains concernés, complétés par une liste des principaux traités internationaux en la matière. Il est profondément désolant de voir que cet accord ne couvre pas l’ensemble des droits humains, et que certains droits, comme les droits des peuples autochtones, ont été totalement supprimés de l’accord. 

 

Négligence de la crise climatique

Concernant la portée environnementale de l’accord, il est également déplorable que l’Accord de Paris sur le Climat - dont l’objectif est de limiter le réchauffement à 1,5°C - soit exclu des traités internationaux que les entreprises devront respecter. Les entreprises auront l’obligation de mettre en place des plans de transition climatique, mais elles ne seront pas responsables juridiquement en cas de non-respect de l’atténuation du changement climatique. Les atteintes à l’environnement ont aussi été définies de manière restrictive : certains types de pollution provoqués par les entreprises seront condamnables, tandis que d’autres n’entreront pas dans ce champs. 

 

***

 

Malgré toutes les pertes essuyées pendant ces négociations, nous pouvons nous réjouir car, dans un contexte marqué par la toute-puissance des multinationales et de leur lobby, nous sommes parvenus à conserver le cœur et la raison d’être de cette directive : la responsabilité juridique des entreprises en matière de droits humains. C’est une victoire indéniable à célébrer, mais surtout une bataille à continuer. Cette directive doit être améliorée, la mobilisation citoyenne ne doit pas cesser.  

 

Les prochaines étapes  

Bien qu’un accord politique ait été trouvé entre les différentes institutions européennes, quelques réunions techniques restent nécessaires pour finaliser le texte. Ensuite, le Conseil de l’UE, puis le Parlement européen, voteront pour l’approuver, normalement aux alentours de mars 2024. S'ouvrira alors le grand chantier de la transposition de la directive européenne dans les lois nationales de tous les Etats membres de l’UE… L’opportunité d’être plus exigeant·es sur la portée du devoir de vigilance des entreprises !

 

 

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